Ci-dessous un document assez long mais amusant et instructif. D'abord parce que l'on y confond les mots de captation (qui est un vol) et de captage (qui n'est que l'action de capter). Ce qui est déjà révélateur… Ensuite parce que l'on y voit s'affronter des élus soucieux de défendre les intérêts de leurs concitoyens (n'est-ce pas la moindre des choses ?) et des politiciens experts dans l'art de noyer le poisson en renvoyant le débat vers une commission ad hoc. Surtout lorsqu'il est question de rejeter dans notre département… les eaux usées de Paris. Comme quoi la réalité dépasse toujours la fiction. 
  
Séance du Conseil général de l’Eure le 13 avril 1885, au sujet du projet de captation (sic), par la Ville de Paris, des eaux de l’Avre (source Gallica, BNF) 
 
(…)
M. Callé. – Je demande la parole.
M. le Président. – La parole est à M. Callé.
M. Callé. – Au nombre des grands projets conçus par la ville de Paris, il en est un qui intéresse tout particulièrement le département de l’Eure et sur lequel j’appelle, Messieurs, votre bienveillante attention ; je veux parler de la captation des sources de Rueil, qui augmentent dans une notable proportion le volume d’eau de la rivière d’Avre. Ce projet de dérivation a soulevé un grand nombre de protestations, dont les unes ont été soumises au conseil municipal de Paris, les autres au Conseil général d’Eure-et-Loir qui les discute peut-être au moment je parle. J’ai moi-même entre les mains deux protestations que je vous demande la permission de vous communiquer ; l’une émane de tous les maires des communes riveraines de la rivière d’Avre et elle est signée des usiniers et des principaux propriétaires de prés de la vallée. Elle ainsi conçue :
« Le 17 décembre 1884, les maires des communes riveraines de la rivière d’Avre, les usiniers et les principaux propriétaires de prés de la vallée se sont réunis à Nonancourt, pour protester contre le projet de la ville de Paris de s’approprier les sources de Rueil.
» Il a été décidé à l’unanimité de prier les deux Conseils généraux d’Eure-et-Loir et de l’Eure d’employer tous les moyens possibles pour empêcher que ce projet soit mis en exécution, tous droits de poursuite réservés.
» Les membres de la réunion font observer :
Que, pour plusieurs industriels, c’est l’arrêt absolu de leurs usines ; que, pour tous les autres, c’est un changement complet de leurs moteurs ;
Que, par le manque d’eau, toutes les prairies de la vallée perdront une très grande partie de leur valeur, et qu’en ce moment de crise il est fâcheux de frapper l’agriculture déjà si malheureuse ;
Que si, d’une part, par suite de la quantité d’usines situées sur la vallée et de la surface de prairies irrigables, les indemnités à payer seront considérables, d’autre part, il est avant tout nécessaire d’empêcher de nombreux ouvriers d’être privés de leur travail.
» Les membres de la réunion, soussignés, espèrent que les Conseils généraux d’Eure-et-Loir et de l’Eure prendront leurs vœux en considération.
» Nonancourt, 17 octobre 1884. »
Une deuxième protestation vous est adressée par des habitants de Courteilles, commune dont je suis maire et que je représente ici, à tous titres, en ma qualité de conseiller général du canton de Verneuil. Voici, Messieurs, cette seconde protestation :
« À Messieurs les membres du Conseil général de l’Eure.
» Messieurs,
» Les soussignés, propriétaires, industriels, cultivateurs et habitants de la commune de Courteilles, canton de Verneuil (Eure), justement émus du projet conçu par la ville de Paris d’acheter les sources de Rueil, croient devoir protester énergiquement et solliciter le concours du Conseil général pour en empêcher la réalisation.
» La commune de Courteilles est traversée par la rivière d’Avre qui arrose ses prairies, alimente ses usines, ses moulins ; diminuer le volume d’eau actuel, c’est porter atteinte à l’agriculture et à l’industrie qui ne sauraient trouver une compensation dans les indemnités, quelque fortes qu’elles soient, qu’on pourrait leur offrir.
» Les soussignés pensent donc qu’il ne faut point, au moment les souffrances de l’agriculture et de l’industrie font l’objet de toutes les préoccupations, y ajouter encore en privant indéfiniment toute une contrée de sa plus belle richesse productive.
» D’autre part, il importe aussi de prendre en sérieuse considération le sort de nombreux ouvriers que la réalisation de ce projet pourrait laisser sans travail.
» Les soussignés, comptant sur le bienveillant appui du Conseil général, espèrent qu’il voudra bien prendre leur demande en considération.
» Courteilles, le 10 janvier 1885. » (Suivent les signatures.)
Je crois, Messieurs, qu’il n’y a rien d’exagéré dans les craintes exprimées ! Ceux de nos honorables collègues qui sont industriels savent que le manque d’eau serait à bref délai la ruine de nos usines. Je parle plus particulièrement pour la commune de Courteilles qui est dans une situation tout exceptionnelle, puisqu’elle est éloignée d’une gare de chemin de fer et qu’elle ne trouve de compensation à cette situation que dans l’abondance de ses eaux. Ce que je dis pour Courteilles, pour Tillières qui compte une population industrielle nombreuse, s’applique aussi bien à toutes les communes qui sont traversées par la rivière d’Avre. Je sais que de fortes indemnités sont promises, mais quelles indemnités recevront les nombreux ouvriers que ces usines abandonnées laisseront sans travail ? Il est enfin un côté de la question plus important qui est mentionné dans toutes les protestations, c’est celui relatif à la situation qui en résulterait pour nos prairies l’irrigation, favorisée par de grands travaux, ne laisse rien à désirer. À cet égard, Messieurs, je n’ai pas besoin d’insister : l’agriculture a rencontré dans cette assemblée d’éloquents défenseurs qui, je l’espère, en cette circonstance, plaideront encore une fois sa cause.
M. Papon. – Je demande la permission de me joindre à l’honorable représentant du canton de Verneuil en ma qualité de représentant du canton de Nonancourt, dont la situation est la même et qui a le même intérêt dans la question. Je commence d’abord par déposer sur le bureau du Conseil général une délibération du conseil municipal de Nonancourt, en date du 16 janvier, dont je ne veux lire que quelques considérants. Cette délibération pose très bien la question.
« Le maire expose au conseil que la ville de Paris a l’intention d’acquérir les sources de Rueil qui alimentent la rivière d’Avre ; il prie le conseil de bien vouloir délibérer sur cette grave question qui touche directement l’industrie et l’agriculture de la commune de Nonancourt et des communes de Breux, Acon, Saint-Germain-sur-Avre, le Mesnil-sur-1’Estrée, Muzy et Saint-Georges-sur-Eure, du canton de Nonancourt, et celles de Courteilles, Rueil, Tillières, Montigny-sur-Avre, Dampierre-sur-Avre, Saint-Lubin-des-Joncherets, Saint-Rémy-sur-Avre et Vert-en-Drouais.
» Toutes ces communes seraient certainement lésées dans leurs intérêts généraux et particuliers si ce projet recevait son exécution, car il est reconnu que les sources de Rueil augmentent de plus de moitié le débit de la rivière d’Avre qui, dans son parcours de Rueil à Motel, fait mouvoir quarante usines ou moulins d’une importance très grande, puisqu’il nous suffira de citer, en dehors des usines de Montigny, de Tillières, de la Mulotière, qui ne sont pas de notre canton, les filatures de Bellegarde et de Vrisseuil, les deux filatures de MM. Maris et Vulliamy, à Nonancourt, et les tissages de Mocdieu et de la Paqueterie, les filatures de L’Isles et de L’Ancienne, qui appartiennent à la Société Waddington fils & Cie, enfin les importantes fabriques à papier et imprimeries des Firmin-Didot. »
La délibération est très longue : il s’agit, pour le canton de Nonancourt, d’une question très importante, car il est question de prendre 120 000 mètres cubes d’eau par 24 heures, c’est-à-dire la moitié de la rivière selon les uns, les deux tiers selon les autres. Cette question n’intéresse pas seulement les cantons de Nonancourt et de Verneuil, mais aussi toute la vallée de l’Eure, c’est-à-dire la plus grande partie du département, puisque l’Avre et la rivière d’Eure le traversent dans son entier. L’Avre est le principal affluent de l’Eure et, si l’on retire la moitié des eaux de cette rivière, l’Eure se trouvera appauvrie dans une proportion très considérable. Donc toutes les localités traversées par la rivière d’Eure, qui comptent une population très industrieuse, pour laquelle il est d’une si grande importance de conserver le volume d’eau de cette rivière avec la force actuelle, sont intéressées à ce qu’il ne soit pas donné suite au projet de la ville de Paris. Cet intérêt, Messieurs, il est du devoir du Conseil général de le défendre, et, si vous voulez bien me le permettre, comme j’ai entre les mains toutes les pièces du dossier du conseil municipal de Paris, je puis exposer très succinctement quelle est la situation de la question, telle qu’elle s’est posée devant ce conseil.
M. Émile Vy. – Ne vaudrait-il pas mieux réserver ces explications pour le moment la discussion s’élèverait devant le Conseil général, à la suite du rapport qui lui serait présenté ?
M. Papon. – Pour qu’un rapport puisse être fait, il est nécessaire qu’on connaisse d’abord la question.
M. Émile Vy. – Vous pouvez donner communication du dossier auquel vous faites allusion à la commission, qui en prendra connaissance. Mon observation n’a d’autre but que d’épargner au Conseil général une perte de temps.
M. Bully. – Il n’y a aucun inconvénient à ce que nous nous occupions en ce moment de cette question, puisqu’il n’y a rien à notre ordre du jour.
M. Papon. – Je répète que je vais me borner à exposer très sommairement l’état de la question. Ce ne sera pas une perte de temps pour le Conseil général et cela avancera d’autant l’examen de la commission devant laquelle je serais autrement obligé de répéter ce que je vais dire en ce moment. Mon intention n’est pas d’entrer dans la discussion, mais d’exposer la question telle qu’elle se pose à l’heure présente devant le conseil municipal de Paris.
M. le comte de Boisgelin. – Est-ce que le bureau du Conseil est saisi de cette affaire?
M. le Président.Non, jusqu’à présent aucun dossier n’a été remis sur le bureau relativement à cette affaire.
M. Papon. – Je demande à M. le président la permission de présenter certaines observations qui auront, je crois, cet avantage d’amener très probablement de la part de M. le préfet quelques explications. Ainsi il pourra nous dire quelle est la situation en ce qui touche le partement de l’Eure relativement à ce projet d’acquisition des sources de Rueil par la ville de Paris, et ce que son administration a l’intention de faire à cet égard. Je commence par exposer très brièvement les faits, en me bornant à dépouiller le dossier des pièces que j’ai réunies à grand-peine et que j’aurai l’honneur de déposer sur le bureau du Conseil général. La ville de Paris a fait dresser une carte des sources du bassin de la Seine, qui est des plus intéressantes, parce qu’elle montre bien quel est le but qu’on poursuit. Toutes les sources qui se trouvent dans la vallée de la Seine ont été relevées avec soin, avec leur altitude et le volume d’eau qu’elles fournissent. Cette carte embrasse un certain nombre de départements situés autour de Paris, la population est très dense, et mérite d’être étudiée de très près, car elle montre quelles sont les prétentions de la ville de Paris, prétentions qui ne se borneront pas à ce qu’elle demande aujourd’hui, c’est-à-dire à un approvisionnement de 240 000 mètres cubes par vingt-quatre heures : cette quantité, en effet, n’est pas suffisante pour les besoins de la capitale ; si ce projet de dérivation dont il est question aujourd’hui réussit, on ne s’arrêtera pas  ; il sera suivi d’autres projets qui touchent également l’Eure, car d’autres points de ce département ont été signalés comme contenant des sources utilisables pour l’alimentation de Paris. Voici, au point de vue administratif, en est l’instruction de cette affaire. Il y a eu d’abord, à la date du 5 novembre 1884, un avant-projet dressé par l’ingénieur ordinaire du département de la Seine, M. Bechmann. Le 14 novembre de la même année, vous voyez, Messieurs, qu’on n’a pas perdu de temps, cet avant-projet a été suivi d’un autre émanant de M. l’ingénieur en chef des eaux, M. Couche. Enfin, le 8 décembre 1884, M. le préfet de la Seine a présenté au conseil municipal de Paris un mémoire que ce dernier a approuvé, et je vous demande la permission de vous donner lecture de la délibération qu’il a prise à cette occasion :
« Le conseil, vu sa délibération du 1er août 1884, invitant l’administration à étudier le projet d’une nouvelle dérivation destinée à compléter l’alimentation de Paris en eau de source ;
» Vu le mémoire, en date du 8 décembre, par lequel M. le préfet de la Seine lui soumet un avant-projet dressé par les ingénieurs du service municipal, en vue de fournir à la ville de Paris un supplément d’alimentation de 240 000 mètres cubes par 24 heures, ce dit projet consistant à établir deux aqueducs de longueur à peu près égale, dont l’un, à l’ouest de Paris, recueillerait les eaux des sources de la Vigne et de l’Avre, près de Verneuil, et les amènerait à Paris, à la cote 95, dans un réservoir à construire au-dessus ou dans le voisinage de celui de Villejuif ; et dont l’autre, à l’est, recevrait les eaux du Durtreint et de la Voulzie, près de Provins, et les amènerait à la cote 80, dans le réservoir actuel de Montsouris, en suivant dans une partie de son parcours le tracé de l’aqueduc de la Vanne ;
» Vu les pièces du projet et les rapports des ingénieurs des eaux, desquels il résulte que la dépense dudit projet, y compris l’acquisition des sources, des terrains et les indemnités pour dépossession de force motrice, s’élèverait à 62 millions environ, dans le cas l’on ne donnerait aux aqueducs que la section nécessaire pour un débit total de 240 000 mètres cubes, et à 74 millions, dans le cas leur section serait augmentée de manière à permettre un supplément éventuel de débit de plus de 200 000 mètres cubes. (Vous voyez, Messieurs, qu’il ne s’agit pas de s’arrêter là.)
» Vu le tableau des sources à acquérir et l’état des traités provisoires conclus avec les propriétaires de ces sources, ledit état faisant ressortir, pour l’ensemble des acquisitions à faire, une dépense de 691 000 fr. qui, avec les frais, serait portée à 760 000 fr. ;
» Délibère,
» Art. 1er. – Est adopté en principe l’avant-projet dressé par les ingénieurs du service municipal, en vue d’augmenter de 240 000 mètres cubes l’alimentation de Paris en eau de source.
» Art. 2. – M. le préfet est autorisé à faire dresser et à soumettre au conseil municipal, avec bordereau des prix, cahier des charges et toutes autres pièces nécessaires pour l’adjudication des travaux, un projet définitif établi sur les bases indiquées dans son mémoire et satisfaisant notamment aux conditions suivantes :
» Les deux aqueducs à établir emprunteront leur alimentation principale : l’un aux sources de la Vigne, près de Verneuil, l’autre à celles du Durtreint et de la Voulzie, près de Provins. Chacun d’eux recueillera, tant au départ qu’en route, environ 120 000 mètres cubes d’eau, fournis de préférence par les sources n’exigeant pas de relèvement, et amènera cette alimentation à Paris, l’aqueduc de l’est, à la cote 80, dans le réservoir actuel de Montsouris ; l’aqueduc de l’ouest, à la cote 95, dans un réservoir à construire au-dessus et dans le voisinage de celui de Villejuif.
» L’aqueduc de Normandie aura une section suffisante… (J’appelle l’attention du Conseil général sur cette partie de la délibération) pour un débit supplémentaire d’au moins 100 000 mètres cubes par 24 heures.
» L’aqueduc de l’est, qui rejoindra le plus directement possible l’aqueduc actuel de la Vanne et s’y accolera de manière à lui prêter secours en cas d’avarie, aura également, dans la partie de son parcours que longera la dérivation de la Vanne, une section suffisante pour un débit supplémentaire de 120 000 à 130 000 mètres cubes.
» De l’aqueduc de Normandie se détachera, au passage près de Paris, une canalisation spéciale destinée à alimenter les trois zones de la rive gauche les eaux de la Vanne n’ont qu’une pression insuffisante ; le surplus des eaux de cet aqueduc arrivera au nouveau réservoir de Villejuif, d’où une conduite maîtresse amènera par la gravité, au réservoir de Charonne agrandi, le volume d’eau nécessaire aux quartiers du nord, et une usine de relais refoulera dans le réservoir de Ménilmontant la partie de ce volume destinée à compléter l’alimentation des quartiers hauts, que ce dernier réservoir dessert.
» Art. 3. – M. le préfet est autorisé à comprendre la dépense de ce projet dans le tableau d’emploi des ressources extraordinaires à créer par la ville pour les travaux urgents d’assainissement et autres à exécuter dans Paris.
» Art. 4. – Est autorisée l’acquisition immédiate, aux conditions stipulées dans les traités provisoires annexés au mémoire sus-visé par M. le préfet, des sources à dériver, y compris celles de la haute Seine et de l’Aube, destinées à constituer une réserve d’avenir.
» La dépense de ces acquisitions, s’élevant au total, y compris les frais, à 760 000 fr., sera imputée, à titre provisoire, sur les fonds de trésorerie de la ville. »
Voilà, Messieurs, la délibération du conseil municipal de Paris. Je crois qu’en présence de cette situation, en présence aussi des réclamations qui sont adressées au Conseil général de l’Eure, celui-ci est appelé à prendre parti dans la question, et j’ai l’honneur, au nom de mon collègue, M. Callé, et au mien, en notre qualité de représentants des cantons les plus intéressés, de soumettre au Conseil général le projet de délibération suivant :
« Le Conseil général de l’Eure,
» Vu la délibération du conseil municipal de Nonancourt, en date du 16 janvier 1885 ;
» Vu la délibération du conseil municipal de la commune de Courteilles, en date du 10 janvier 1885 ;
» Vu la protestation adressée au Conseil général par les maires des communes riveraines de la rivière d’Avre, les usiniers et les principaux propriétaires de la vallée, en date du 19 octobre 1884 ;
» Vu la délibération du conseil municipal de la Seine ;
» Considérant que M. le préfet de la Seine est autorisé à faire l’acquisition des sources de la Vigne et de l’Avre, situées près Verneuil, département de l’Eure, pour en recueillir les eaux et les conduire à Paris ;
» Considérant que la quantité d’eau ainsi acquise est évaluée à environ 120 000 mètres cubes par 24 heures. Et que même cette quantité, déjà si considérable, pourrait être augmentée par des acquisitions ultérieures, puisque la délibération, sus-visée, décide que l’aqueduc de Normandie aura une section suffisante pour un débit supplémentaire d’au moins 100 000 mètres cubes par 24 heures ;
» Considérant que la ville de Paris a fait dresser une carte des sources de ce qu’elle appelle le bassin de la Seine, comprenant tous les affluents, petits et grands, de ce fleuve, ce qui indique l’intention, dès à présent arrêtée, de s’attribuer, au fur et à mesure de ses besoins, toutes les eaux nécessaires, sans tenir aucun compte des droits acquis et des besoins des populations desservies par ces cours d’eau ;
» Considérant, pour nous en tenir au cas spécial qui intéresse actuellement le département de l’Eure, que les sources de la Vigne alimentent la rivière d’Avre dans la proportion de la moitié, sinon des deux tiers de son volume d’eau ;
» Que cette rivière traverse deux cantons des plus riches, ceux de Verneuil et de Nonancourt, dont elle alimente les populations, arrose les prairies, fait mouvoir les usines ;
» Que l’Avre se jette dans la rivière d’Eure, dont elle est le principal affluent, de sorte que toutes les populations desservies par cette rivière se trouvent tout aussi intéressées à la question que celles des cantons précités ;
» Considérant qu’il est impossible d’admettre que les droits acquis sur les rivières, que les intérêts si considérables des populations traversées par ces cours d’eau puissent ainsi être méconnus ;
» Qu’il est impossible d’admettre qu’il suffira aux propriétaires des terrains sur lesquels les sources se produisent d’aliéner leurs droits au profit de la ville de Paris, pour que cette ville puisse détourner l’eau, en la captant dans un aqueduc qui la conduira hors du département ;
» Que, pour transmettre de pareils droits, il faudrait que les cédants les eussent eux-mêmes ; or, leurs droits sur la source consistent à en jouir et user, dans leur domaine, sans préjudicier aux droits acquis par les riverains traversés par l’eau courante ;
» Considérant, en outre, que, pour qu’un aqueduc semblable à celui projeté pût être construit, il faudrait que le département de l’Eure l’autorisât, ce qu’il ne pourrait faire ;
» Que, sans doute, le département pourrait attendre les actes de la municipalité de Paris pour y répondre et s’y opposer ;
» Mais que, saisi de la question par les protestations des communes intéressées, le Conseil général croit de son devoir, pour rassurer les populations inquiètes, de protester, dès à présent, contre les prétentions de la ville de Paris, et de charger l’administration de faire toutes les diligences et tous les actes nécessaires pour empêcher l’exécution des projets d’acquisition et de captation des sources de la rivière d’Avre,
» Par ces motifs,
» Le Conseil général de l’Eure,
» Protestant, dès à présent, contre tous projets de captation des sources de la rivière d’Avre,
» Invite M. le préfet à faire toutes diligences et tous actes nécessaires pour empêcher la captation et le détournement de ces sources.
» Les conseillers généraux,
» H. Callé, A. Papon. »
M. Émile Vy. – Nous aurons également une autre protestation à faire, car si, d’un côté, on veut prendre l’eau du département, d’un autre côté, on se dispose à nous empoisonner et à répandre l’infection sur divers points du département en y amenant les détritus de la ville de Paris au moyen des égouts qu’on veut faire passer notamment dans l’arrondissement des Andelys.
M. Papon. – Vous avez raison, mais il s’agit d’une autre question.
M. Raoul Duval. – Je demande au Conseil général de ne pas s’engager sur cette question et de la laisser pour le moment tout entière.
M. Émile Vy. – Je ne dis pas qu’il s’agisse d’un projet définitivement arrêté ; je signale seulement sa réalisation possible.
M. Raoul Duval. – Si je me permets de faire une observation à ce sujet, c’est que la question intéresse non seulement Les Andelys, mais encore la plaine de Vernon et beaucoup aussi celle de Louviers, c’est-à-dire toute la partie du département située sur les bords de la Seine, entre Mantes et Rouen. Or, les renseignements qui m’ont été fournis jusqu’à présent ne permettent pas d’asseoir en ce moment un jugement sérieux sur l’opportunité qu’il y aurait d’accepter ou de refuser la dérivation des eaux d’égouts de la ville de Paris. La question a besoin d’être étudiée ; car, dans une protestation qui m’a été communiquée et qui émane d’une partie des représentants du département de Seine-et-Oise, lesquels s’élèvent contre l’envahissement de la forêt de Saint-Germain par ces eaux d’égouts, on s’est appuyé sur des observations de M. Pasteur signalant les inconvénients qui en résulteraient, et, depuis, il y a eu d’autres observations en sens contraire du même M. Pasteur, desquelles il résulterait que les inconvénients signalés ne se produiraient pas et qu’il pourrait se faire, au contraire, que, grâce à cette dérivation, une partie de notre département fût mise en valeur et que le prix des terrains augmentât dans une proportion considérable. À l’appui de cette dernière opinion, je citerai un fait qui est à ma connaissance : il s’agit de personnes appartenant à ma propre famille qui possèdent des propriétés qui étaient louées, il y a dix ans, 25 ou 28 fr. l’hectare et dont elles retirent aujourd’hui 150 fr. C’est pour cela, et jusqu’à ce que la question soit plus complètement étudiée, que je prie le Conseil général de ne pas s’engager.
M. Papon. – Je m’associe d’autant plus à la demande de l’honorable M. Raoul Duval que nous sommes en présence de deux projets tout différents, dont l’un peut donner des résultats excellents tandis que l’exécution de l’autre projet a soulevé déjà dans le département de nombreuses protestations.
M. le Préfet. – Je crois, comme l’indique l’honorable M. Raoul Duval, que le Conseil général n’a pas intérêt à mêler deux projets absolument distincts et qu’il doit se borner à aller au plus pressé. Le plus pressé est sans contredit celui contre lequel protestent MM. Callé et Papon, celui qui est étudié par la ville de Paris en vue d’approvisionner d’une manière plus large cette grande agglomération d’une quantité d’eau suffisante pour tous ses besoins. Le conseil municipal de Paris, voulant donner satisfaction à ses habitants, a fait dresser un projet à cet effet et, considérant que tous les départements avoisinant celui de la Seine sont ses tributaires au point de vue des eaux et ne leur reconnaissant pas à cet égard le droit de réclamer le bénéfice de l’utilité publique, il semble vouloir prétendre que ce bénéfice n’existe que pour Paris seulement. Aussi, poursuivant ce vaste projet qui consisterait à doter la capitale d’un approvisionnement d’eau suffisant, on est allé d’abord dans l’Eure et on a trouvé, non loin de Verneuil, sur les confins du département d’Eure-et-Loir, des sources dont le débit constitue à l’heure actuelle l’alimentation à peu près complète de la rivière d’Avre, laquelle est elle-même un des affluents principaux de la rivière d’Eure. Laissant pour le moment d’autres projets qui avaient donné lieu à des protestations dans le département de l’Eure, notamment à Évreux, car il s’agissait de détourner une grande partie des eaux de l’Iton, les ingénieurs de la ville de Paris ont soumis au conseil municipal de cette ville un projet qui tend à capter et à détourner, dans l’intérêt de la capitale, ce qu’on appelle les sources de la Vigne qui sont, à proprement parler, les sources de la rivière d’Avre. Aussitôt que ce projet est venu à la connaissance des habitants des communes traversées par les eaux de ces sources, l’opinion publique s’est vivement émue et cela était bien naturel, puisque la question touche à la fois les industriels, les propriétaires de prairies, et, aussi, à un point de vue plus général, et qui n’en est pas moins respectable, l’avenir de la plupart des communes intéressées. La ville de Paris a fait étudier ce projet et elle a décidé de faire l’acquisition à deniers comptants des sources de la Vigne ; elle a même considéré que l’acquisition de ces sources n’était pas suffisante pour réaliser les projets qu’elle avait conçus et elle a acheté, je crois, la propriété même dans laquelle se trouvent ces sources ; à l’heure présente, elle fait étudier le moyen de détourner les eaux de ces sources et de les amener, au moyen d’un grand aqueduc, dans un réservoir à Villejuif.
Six ou sept communes, au nombre desquelles se trouvent Verneuil et Nonancourt que représentent ici les honorables MM. Callé et Papon, sont traversées par les eaux de ces sources ; Nonancourt, notamment, qui compte des usines considérables, a été l’une des premières à réclamer et elle a adressé une protestation au conseil municipal de Paris. C’est après m’être entretenu avec plusieurs des personnes habitant les cantons de Nonancourt et de Verneuil des projets de la ville de Paris que j’ai été amené, comme représentant du département, d’abord, et aussi, d’une façon plus large et plus générale, des communes intéressées, à me préoccuper moi-même de la question ; et voici, à l’heure actuelle, quelle est la situation. Les sources, ainsi que je l’indiquais tout à l’heure, sont achetées par la ville de Paris. Cette acquisition est-elle faite à titre définitif ou conditionnellement ? À cet égard, il m’est impossible d’apporter une affirmation précise ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il y a eu un commencement d’exécution. Aussi les industriels, ainsi que les propriétaires de prairies, se sont inquiétés ; par l’intermédiaire de leurs représentants, ils saisissent aujourd’hui le Conseil général de leurs protestations, et l’honorable M. Papon vient de déposer une proposition tendant à inviter le préfet à prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts que l’exécution de ce projet peut compromettre. Pour ma part, je déclare que je suis absolument décidé à résister de la façon la plus nette aux prétentions de la ville de Paris. Il me semble, en effet, que s’il y a un intérêt public pour les habitants de la capitale à être approvisionnés d’une eau de source, il y a un intérêt public non moins grand pour les communes du département de l’Eure à rester en possession des droits qu’elles ont acquis, alors surtout que ces droits constituent d’une façon directe leur richesse et leur prospérité. Aussi ai-je cru pouvoir, dès le début, entrer dans une voie que je dois indiquer au Conseil général et pour la poursuite de laquelle je lui demande de vouloir bien me soutenir énergiquement. À la suite de la délibération prise par le conseil municipal de Paris, mon collègue, M. le préfet de la Seine, m’a écrit en me demandant de vouloir bien prendre des arrêtés pour autoriser les ingénieurs et les agents de la ville de Paris à pénétrer dans les propriétés closes des cantons de Verneuil et de Nonancourt et à s’y livrer à tous les actes qui peuvent être exécutés lorsqu’il s’agit d’un travail d’utilité publique, c’est-à-dire à abattre des arbres, à poser des jalons, à faire des nivellements, etc. Je n’ai pas hésité, convaincu que je m’appuyais sur un intérêt départemental sérieux, à répondre à mon collègue que je me refusais d’une façon catégorique à prendre des arrêtés autorisant la ville de Paris à procéder à ces actes préparatoires. (Approbation générale.) Il me semble que nous nous trouvons, en ce qui touche cette question, dans une situation spéciale qui nous permet d’agir ainsi parce que, je le répète, il y a un intérêt départemental sérieux et qu’il serait difficile d’admettre que la ville de Paris, ayant reconnu l’impossibilité d’exproprier pour cause d’utilité publique les sources dont elle a acquis la propriété, pût venir en demander aujourd’hui le détournement pour cause d’utilité publique. (Nouvelle approbation.) Je crois que nous nous plaçons sur un terrain excellent et, si le Conseil général veut bien prêter à l’administration l’appui qu’elle sollicite, j’espère faire triompher un intérêt que nous voulons tous sauvegarder. (Très bien ! très bien !)
M. Guindey. – Il me semble que, dans cette affaire dont l’importance n’est contestée par personne, il y a une question juridique qui n’a point été abordée et qui devrait l’être. Avec qui la ville de Paris a-t-elle pu traiter ? Il est évident qu’elle n’a pu traiter qu’avec les propriétaires de certaines sources particulières, isolées, se jetant dans une rivière départementale. Eh bien, il se pose une question de droit absolument nette, sur laquelle il conviendrait peut-être d’avoir l’appréciation de jurisconsultes éclairés, si le Conseil général ne croyait pas qu’elle pût être traitée ici d’une manière assez approfondie ; je veux parler de la question de savoir si, lorsque des droits d’usage sont établis, lorsque des sources d’abord privées ont acquis un caractère d’intérêt général, l’État peut en disposer à sa guise ?
M. Raoul Duval. – Malheureusement, sur ce point, il n’y a pas de discussion possible et nous serions mal fondés à réclamer car, aux termes du Code civil, un propriétaire a le droit de vendre la source qui lui appartient à qui il lui plaît. Mais le département peut, ainsi que vient d’indiquer M. le préfet, se refuser à fournir à la ville de Paris les moyens exceptionnels qu’autorise l’utilité publique et se borner à lui dire de se débrouiller comme elle pourra. En procédant de cette façon, il y a des chances pour que la ville de Paris ne parvienne pas à détourner les eaux de ces sources parce qu’il faudrait qu’elle traitât avec tous les propriétaires, sans exception, pour une captation temporaire, en vue d’acquérir un droit de passage ; en un mot, qu’elle fît l’acquisition de toutes les propriétés traversées. Je crois donc que le terrain sur lequel se place M. le préfet est le meilleur qu’on puisse choisir pour résister aux prétentions de la ville de Paris.
M. Guindey. – J’ai peut-être mal fait connaître ma pensée ; j’ai voulu dire que, lorsque les eaux de sources, d’abord privées, se jettent dans des rivières publiques, dans des rivières départementales, il s’établit des droits d’usage supérieurs à ceux auxquels est soumis, par exemple, le propriétaire d’une forêt vis-à-vis des riverains de cette forêt.
M. Papon.Je m’étais borné à exposer très succinctement l’état de la situation, sans entrer dans l’examen des difficultés que soulèvent les prétentions de la ville de Paris ; mais, puisque la question est posée et même que, tout à 1’heure, l’honorable M. Raoul Duval, avec l’autorité qui s’attache à ses paroles, vient d’indiquer la décision à laquelle il fallait s’arrêter…
M. Raoul Duval. – Je n’ai pas qualité pour formuler une décision ; j’ai simplement exprimé une opinion.
M. Papon. – Soit. Eh bien, je demande à exposer en deux mots quelle est la jurisprudence actuelle. À vrai dire, elle est double ; il y a la jurisprudence administrative et celle des tribunaux ordinaires. La première, qui est représentée par les tribunaux administratifs, établit, en fait, que l’eau courante n’est pas susceptible d’une propriété privée ; qu’elle doit être considérée comme res nullius et que l’administration a le droit d’intervenir pour en régler la jouissance. Telle est la jurisprudence qui a toujours triomphé devant les tribunaux administratifs. Quant à celle des tribunaux ordinaires, bien qu’elle admette généralement que les sources sont la propriété exclusive de leurs propriétaires, elle n’est jamais allée cependant jusqu’à méconnaître les droits acquis par les riverains de l’eau courante. Le propriétaire d’une source a le droit d’en user et d’en jouir sur sa propriété ; il peut en faire ce qu’il veut sur son domaine, mais, lorsqu’il y a des droits acquis par les riverains inférieurs, lorsque cette eau est sortie de chez lui, les droits acquis ne peuvent pas disparaître. Mais il y a sur ce point une autorité plus grande qui est intervenue tout récemment. Vous savez, Messieurs (et c’est pour cela que la jurisprudence de la Cour de cassation a varié sur la question de la propriété des cours d’eau), que le Code civil est muet à ce sujet, s’en référant au Code rural qui devait être fait plus tard. Or, ce Code rural est actuellement l’objet des travaux du Parlement, et s’il n’a pas encore abouti, on peut dire cependant que l’œuvre est à moitié terminée, puisque le projet a déjà été voté par le Sénat sur le rapport de M. Cuvinot. Il convient d’ajouter que M. Cuvinot, en sa qualité d’ingénieur, a soutenu la théorie administrative, et que le Sénat, adoptant les conclusions de son rapporteur, a admis que l’eau courante n’est pas une propriété privée, qu’il appartient à l’administration d’en régler la jouissance et que, lorsqu’il y a des droits acquis, lorsqu’une source a pénétré sur différents héritages, ceux-ci possèdent des droits acquis qui ne peuvent être troublés ni diminués par le propriétaire du terrain supérieur sur lequel la source prend sa naissance. Tel est aujourd’hui l’état de la question au point de vue soit de la jurisprudence administrative, soit de la jurisprudence des tribunaux ordinaires, ainsi qu’au point de vue de la solution donnée par le Sénat. Actuellement, le projet de Code rural est soumis à la Chambre des députés, et il n’est pas douteux que celle-ci n’adopte la théorie admise par le Sénat. D’ailleurs le conseil municipal de Paris lui-même ne méconnaît pas cette situation et les conséquences qui peuvent en résulter ; il n’a pas la prétention, ayant acheté une source, de contester les droits des riverains, mais il a celle de traiter avec tous les riverains, et, si je suis bien renseigné, dans le cas dont il s’agit, il s’adresse d’abord aux principaux usiniers ainsi qu’aux principaux propriétaires de prairies et il traite avec eux. Mais je crois que ce ne sont pas les seuls intéressés et que, lorsqu’il s’agit d’une rivière comme l’Avre, ce n’est pas seulement avec les usiniers qui utilisent les eaux de cette rivière comme force motrice ni avec les propriétaires des prairies traversées qui se servent de cette eau pour leurs irrigations qu’il suffit de traiter, il y a aussi un intérêt public qui touche toutes les populations des cantons que ces eaux arrosent et qui leur donne un droit, comme les usiniers, comme les propriétaires de prairies, sur l’eau courante ; c’est leur alimentation, c’est leur santé, c’est la salubrité publique qui est engagée dans cette question et je ne pense pas qu’en pareil cas il suffise de procéder par voie d’indemnités. On aurait beau indemniser les grands usiniers, en leur disant : « Vous allez brûler une plus grande quantité de charbon, eh bien, nous vous paierons l’excédent de penses qui résultera pour vous de la suppression de l’eau dont vous vous serviez » ; on aurait beau traiter avec les propriétaires de prairies en leur disant : « Vous n’arroserez plus vos prairies, mais nous vous en paierons la valeur ; elles resteront votre propriété et vous en ferez des herbages très bons ; par conséquent, ce sera tout bénéfice pour vous », il faut compter aussi avec les populations qui ont la jouissance de ces cours d’eau. Ce ne sont donc pas seulement, je le répète, les usiniers et les propriétaires de prairies des cantons de Nonancourt et de Verneuil qu’il faudrait indemniser, mais la population tout entière de ces cantons. Je dis plus, il faudrait aller au-delà et indemniser tous les riverains de la rivière d’Eure qui sont également intéressés. En somme, il faudrait indemniser tout le monde ! Dans ces conditions, le projet du conseil municipal de Paris doit être combattu, ainsi que le disait M. le préfet, par les moyens administratifs et, au besoin, par d’autres moyens, s’il tente d’y donner suite.
M. Olry. – Comment la ville de Paris a-t-elle procédé pour détourner les eaux de la Dhuys?
M. le Préfet. – Cela s’est fait à l’amiable. Le parcours de la Dhuys est à peine de 4 à 5 kilomètres et on a désintéressé tous les propriétaires. La Dhuys n’est pas un affluent d’une grande rivière, et la dérivation de ses eaux n’ayant pas soulevé de protestations, la ville de Paris a pu mettre facilement son projet à exécution. Du reste, il sera intéressant, lorsque la question de droit sera soumise aux Chambres par la voie du pétitionnement, de se reporter à la discussion qui a eu lieu à l’occasion de la dérivation des eaux de la Dhuys ; mais la situation dans l’Eure n’est pas la même : nous sommes en présence d’une rivière sur laquelle sont établies d’importantes usines, qui traverse un grand nombre de propriétés et dont le débit, qui est considérable, vient alimenter l’Eure dans une notable proportion, si bien que, si le cours de l’Avre était détourné, les industriels et les propriétaires de prairies de la vallée d’Eure auraient eux aussi, indirectement, le droit de se plaindre de l’exécution de ce projet. Une autre considération, que faisait valoir l’honorable M. Papon et qui, au point de vue de l’intérêt public, a sa valeur, c’est qu’indépendamment de l’intérêt des industriels et des propriétaires de prairies, il y a un intérêt collectif : celui des villes, des villages qui sont traversés par une rivière et dont l’état de salubrité, l’état d’hygiène est lié au débit même de cette rivière. Si la ville de Paris, par exemple, se trouvait, à l’heure actuelle, en présence d’un projet intéressant un des départements qui l’avoisinent et devant avoir pour résultat de détourner la moitié des eaux de la Seine, je suis persuadé qu’elle serait la première à protester contre un détournement qu’on voudrait faire au détriment de sa population. Nous sommes, dans l’Eure, exactement dans la même situation et, au nom des habitants de Verneuil et de Nonancourt, nous disons, comme on l’a dit lorsqu’il a été question de la dérivation des eaux de l’Iton, que la salubrité publique est intéressée à ce que le débit des rivières du département soit respecté et qu’il faut que nous restions à l’avenir dans les mêmes conditions que par le passé au point de vue de l’hygiène et de la salubrité.
M. Papon. – Le Conseil général veut-il renvoyer notre proposition à une commission, ou statuer immédiatement?
M. le comte de Boisgelin. – Il n’est pas possible qu’une question de cette importance soit portée ainsi à l’improviste devant le Conseil général, et qu’on la discute sans l’avoir étudiée. Il faut continuer à faire comme par le passé, c’est-à-dire que l’affaire soit instruite, que le dossier soit renvoyé à une commission et qu’on procède ensuite à une discussion générale.
M. Papon. – Permettez ; c’est notre droit d’initiative privée qui est mis en question, et je crois que c’est la première fois qu’une observation pareille se produit. Tous les jours, il arrive qu’un membre du Conseil général appartenant soit à la majorité, soit à la minorité – cela ne fait rien à l’affaire, et il n’y a rien de politique – tous les jours, dis-je, il arrive que pour une question semblable à celle qui nous occupe, ou pour telle autre moins importante, un membre du Conseil général, usant de son initiative privée, dépose une proposition, et jamais ce droit ne lui a été contesté. En ce qui me concerne, j’ai saisi le Conseil de la façon la plus régulière, en lui soumettant un projet de délibération que j’ai développé succinctement. En procédant ainsi, j’ai usé d’un droit, je n’en ai pas abusé, et je demande de nouveau au Conseil général s’il veut prononcer le renvoi à une commission ou statuer immédiatement.
M. le comte de Boisgelin. – J’insiste pour que la proposition soit renvoyée à une commission.
M. Papon. – Je demande moi-même ce renvoi, mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire de nommer une commission spéciale.
M. Léon Sevaistre. – Renvoyons à la commission des vœux ?
M. Papon. – Ce n’est pas un vœu.
M. le Préfet. – En réalité, c’est un vœu, puisque la proposition ne peut donner lieu à une délibération définitive qui soit suivie d’exécution.
M. le comte de Blangy. – Pourquoi ne pas renvoyer simplement à la 3ᵉ commission ?
M. le Président. – En effet, cela me paraît plus régulier. Il ne peut y avoir de difficultés, puisque tout le monde est d’accord ; c’est une affaire de simple régularisation. Je mets aux voix le renvoi de la proposition à la 3ᵉ commission.
(Le renvoi à la 3ᵉ commission est prononcé.)
M. le Président. – L’ordre du jour est épuisé. Il n’y a pas d’autres observations

(Fin de la discussion sur ce sujet.)




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire